Quand Isabelle Huppert incarnait Sarah Kane : 4.48 Psychose

Seule devant un grand rideau sur le plateau nu des Bouffes du Nord, à l’automne 2002, Isabelle Huppert incarnait la psychose, la soif d’amour et l’impossibilité d’aimer, la soif de vie et l’impossibilité de vivre, dans 4.48 Psychose, la cinquième et dernière pièce de Sarah Kane, écrite en 1998, et que l’auteur n’aura pas vu jouer.
Vers 3h, un matin de février 1999, la dramaturge est retrouvée pendue dans les toilettes de l’hôpital psychiatrique où elle séjournait. Elle avait 28 ans.
4.48, c’est douze minutes avant 5h, avant que la vie reprenne dans la ville. L’instant T.

À 4. 48
quand le désespoir fera sa visite
je me pendrai
au son du souffle de mon amant

Dans la mise en scène de Claude Régy, Isabelle Huppert était immobile, totalement, plantée là, bien droite, au plein centre du vide, cernée par les lumières, elle qui s’engloutit dans son moi. Là et déjà ailleurs. En suspension. Au-delà des mots.

Voyez la lumière du désespoir
l’éclat de l’angoisse
et vous serez menés aux ténèbres

De son jeu, Isabelle Huppert a dit :

«Ce n’est que de l’inconscient qui passe. Comme un état qui nous protège. Cela finit par créer un espace tellement intime qu’on se trouve dans cette perte de soi. C’est dans les moments où je glisse le plus dans la perte de moi que je suis la plus raisonnée. (Libération, 1er octobre 2002) L’acteur est toujours à la fois dans la maîtrise et dans l’instantané, qui implique l’absence de maîtrise. Il est toujours à la croisée de l’état de conscience et d’inconscience. S’il était totalement dans l’abandon ou dans l’absence de contrôle, il ne serait plus acteur mais délirant. La difficulté, évidemment, avec une pièce qui s’appelle 4.48 Psychose, c’est que la frontière s’abolit un peu. On est tout près du délire, mais on n’y est pas. J’espère.» (Le Monde, 28 septembre 2002)

À l’Odéon, ce printemps, Isabelle Huppert retrouve Sarah Kane pour L’Amour de Phèdre, la pièce qui sera au cœur du spectacle de Krzysztof Warlikowski, Phèdre(s).
Phèdre aime celui qu’elle ne doit pas aimer, comme chez Racine, et se pend de n’être pas aimée.