Le bureau du directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe abrite un curieux document : un dessin à l’encre représentant la façade du théâtre, un peu transformé par un pignon pointu, et dénommé « THÉÂTRE NATIONAL DES ARTS ».
En bas à droite, une signature à demi effacée : De Wailly, et une date : «le 18 germinal l’an [illisible]». Une date du calendrier républicain de la Révolution Française, donc.
En haut, plusieurs signatures : Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et une quatrième, illisible. Celles-ci, célèbres, renvoient aux membres du Comité de Salut Public et à la Convention. Plus exactement aux Montagnards qui ont mis en place la Terreur, et feront tomber Robespierre avant d’être eux-même déportés à Cayenne en 1795 (par décret du 12 germinal an 3).
Le pignon du toit du théâtre est orné d’un drapeau tricolore, d’un bonnet phrygien et d’une équerre maçonnique symbole d’égalité.
Quatre devises de la première République s’affichent derrière les colonnes : UNITÉ, FRATERNITÉ, VÉRITÉ, INDIVISIBILITÉ.
Pourquoi Charles De Wailly, architecte du Théâtre avec son confrère Marie-Joseph Peyre, a-t-il réalisé ce dessin ? Et à quel moment ?
L’histoire de l’Odéon rédigée en 1852 par MM. Porel et Monval nous apprend qu’en mai 1794 «le projet de De Wailly n’a pas satisfait la municipalité» mais que «l’architecte a obtenu du Comité de salut public que son œuvre soit préservée». Quel projet ?
Les comédiens «monarchistes» du théâtre ont été arrêtés en septembre 1793, les comédiens «républicains» sont partis rive droite rejoindre le Théâtre de la République (l’actuelle Comédie-Française). Au début de l’an 1794, le théâtre est fermé, la troupe n’existe plus.
Pourtant un arrêté du 20 ventôse an 2 (10 mars 1794) ordonne la réouverture du théâtre. Il est prévu qu’il rouvre sous le nom de Théâtre du Peuple, réservé aux seuls bons citoyens, et moyennant quelques aménagements. Il est probable qu’on ait alors demandé à Charles De Wailly (Peyre est mort en 1785) de concevoir ceux-ci. La date du 18 germinal an 2 (7 avril 1794) semble pouvoir donc correspondre au dessin.
Le 9 messidor an 2 (27 juin 1794), le théâtre ouvre finalement ses portes sous le nom de Théâtre de l’Égalité. Le nom de Théâtre national des Arts que l’on peut voir sur la façade a-t-il été un moment envisagé ? Sous le titre du dessin «élévation de la salle du Théâtre des Arts du côté de la place», on peut lire, à moitié effacé, sous le mot Arts, «de l’Égalité», signe des nombreuses hésitations du temps révolutionnaire.
La salle est transformée intérieurement par la suppression des loges, qui donne un côté « amphithéâtre à balcons » à l’ensemble :
Reste qu’à la fin 1794 (le 23 décembre) les mésententes dans la nouvelle troupe sont telles que, faute de comédiens, le théâtre doit à nouveau fermer ses portes, pour ne rouvrir qu’en mai 1797 sous le nom… d’Odéon !
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