À l’origine était le Dogme 95

Tel le dogme 95 qui s’était donné une série de règles pour établir une charte de cinéma, le Collectif MxM – dont Cyril Teste est directeur artistique et metteur en scène – a rédigé une charte de création de la « performance filmique » : une écriture théâtrale qui s’appuie sur un dispositif cinématographique en temps réel.

La performance filmique est une forme théâtrale, performatice et cinématographique;
La performance filmique doit être tournée, montée et réalisée en temps réel sous les yeux du public;
La musique et le son doivent être mixés en temps réel;
La performance filmique peut se tourner en décors naturels ou sur un plateau de théâtre, de tournage;
La performance filmique doit être issue d’un texte théâtral, ou d’une adaptation libre d’un texte théâtral;
Les images préenregistrées ne doivent pas dépasser 5 minutes et sont uniquement utilisées pour des raisons pratiques à la performance filmique;
Le temps du film correspond au temps du tournage.

En créant Festen en cet automne 2017, le collectif MxM s’attaque au premier film manifeste du mouvement Dogme 95 initié par les deux cinéastes Lars von Trier et Thomas Vinterberg. Entre la charte de la performance filmique et celle du Dogme 95, au moins un point commun : le refus des effets spéciaux, le recours au direct et au naturel.

Dans un communiqué de presse daté du 14 mars 1995, Lars von Trier annonçait aux Danois la naissance du collectif Dogme 95 et publiait le manifeste éponyme, accompagné de son programme directeur, le « Vœu de Chasteté ». Mais la véritable présentation aura lieu le 20 mars, au Théâtre de l’Odéon à Paris. Un colloque international à l’occasion du centenaire du cinéma allait lui fournir le contexte idéal pour assurer le rayonnement du mouvement. Invité parmi d’autres réalisateurs de différentes nationalités à débattre de l’avenir du cinéma, Lars von Trier se contenta de déclarer : « Il me semble que depuis les vingt dernières années – non, disons depuis les dix dernière années, le cinéma est devenu vraiment minable (…). Et que pouvons-nous faire contre ça ? J’ai écrit un texte, il se nomme Dogme 95 ». Alors le cinéaste se leva et lança dans la salle des centaines de tracts rouges dont il se mit à faire scrupuleusement la lecture.

DOGME 95 :

1. Le tournage doit avoir lieu en extérieurs. Les accessoires et décors ne peuvent être fournis (si un accessoire particulier est nécessaire à l’histoire, il faut choisir un extérieur où l’accessoire peut être trouvé sur place).
2. Le son ne doit jamais être produit séparément de l’image et vice-versa. (La musique ne doit pas être utilisée à moins qu’elle ne soit produite là où la scène est en train d’être tournée).
3. La caméra doit être tenue à l’épaule. Tout mouvement — ou immobilité — faisable à l’épaule est autorisé. (Le film ne doit pas avoir lieu là où la caméra se trouve ; c’est le tournage qui doit avoir lieu là où se déroule le film).
4. Le film doit être en couleur. Tout éclairage spécial est interdit. (S’il n’y a pas assez de lumière pour filmer une scène, celle-ci doit être coupée ou bien il est possible de monter une seule lampe sur la caméra).
5. Les traitements optiques (trucages) et filtres sont interdits.
6. Le film ne doit contenir aucune action superficielle. Meurtres, armes, etc. sont interdits.
7. Les aliénations temporelles et géographiques sont interdites. C’est-à-dire que l’action du film se déroule ici et maintenant.
8. Les films de genre sont inacceptables.
9. Le film doit être au format 35 mm standard.
10. Le réalisateur ne doit pas être crédité.
De plus, en tant que réalisateur, je jure de m’abstenir de tout goût personnel ! Je ne suis plus un artiste. Je jure de m’abstenir de créer une œuvre car je considère l’instant comme plus important que la totalité. Mon but suprême est de forcer la vérité à sortir de mes personnages et du cadre de l’action. Je jure d’y parvenir par tous les moyens au détriment de tout bon goût et de toute considération esthétique. Ainsi je prononce mon vœu de chasteté.
Copenhague, lundi 13 mars 1995,
Au nom de DOGME 95,
Lars von Trier, Thomas Vinterberg

Ce n’est que trois ans après l’annonce de la création de Dogme 95 que les premiers films certifiés ont été présentés au public, à l’occasion du 51e Festival de Cannes, en 1998. Accueillis dans la sélection officielle, les deux films des membres fondateurs, Festen-Dogme 1 et Les Idiots-Dogme 2, réalisés respectivement par Thomas Vinterberg et Lars von Trier, bénéficièrent d’une attention particulière de la part des médias et des professionnels. Le succès inattendu de Festen (grand prix du jury) et la polémique autour du film de Lars von Trier contribuèrent à relancer médiatiquement le mouvement en lui offrant une résonance internationale.

Le projet était aussi empreint d’une profonde ironie, comme l’explique Thomas Vinterberg : « D’un côté c’est très sérieux, presque solennel. De l’autre, il y a une dimension ironique très importante. C’est un jeu. Les deux dimensions sont inséparables » (in : Première, janvier 1999).
Fin mars 2005, soit dix ans après le lancement provocateur de Dogme 95, un communiqué de presse émanant de son principal initiateur, Lars von Trier, annonçait de façon solennelle : « le Dogme est fini ! ».

Cyril Teste, metteur en scène du spectacle Festen à l’Odéon, envisage un avenir assez semblable au collectif MxM : « comme [Vinterberg] s’est affranchi du Dogme, on s’affranchira probablement de notre charte : on peut très vite être tenté par la facilité, quand on se donne des outils de création comme ceux-là. Notre charte est donc aussi un clin d’œil : on est les petits frères de Vinterberg. » (in : Le Monde du 24/11/2017)

À lire : Claire Chatelet : Dogme95 : un mouvement ambigu, entre idéalisme et pragmatisme, ironie et sérieux, engagement et opportunisme (in : 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze, 48 | 2006. http://1895.revues.org/341 )

Festen
de Thomas Vinterberg et Mogens Rukov,
adaptation théâtrale Bo Hr. Hansen,
mise en scène Cyril Teste

à découvrir aux Ateliers Berthier jusqu'au 22 décembre 2017.