La Mouette est sans doute la pièce de Tchekhov la plus jouée en France. Celle-ci, présentée au Théâtre de l’Odéon en février 2002, pour quatre soirées seulement, venait d’Autriche, créée au Burgtheater de Vienne en mai 2000, pour les Wienerfestwochen.
Luc Bondy, metteur en scène de cette Mouette, expliquait alors sa manière de travailler :
On ne met pas en scène Tchékhov… d’une façon ou d’une autre, on fait se rencontrer (et se côtoyer) des êtres, on n’arrête pas de raconter que les choses psychiques sont insaisissables. Ne rien décrire… circonscrire, quand quelque chose s’est passé, dans l’espoir qu’une petite chose puisse se retrouver lors de la prochaine répétition… etc. Pour moi, le plus important dans cette pièce, c’est : rester dedans, pendant trois mois… tout le temps dedans, « parmi les musiciens » !
La petite musique tchékhovienne, entre comédie et tragédie, peinture sociale et déchirante histoire d’amour, a besoin du plateau pour se déployer. Rien de bien définit dans La Mouette, des nuances, des nuances, encore des nuances qui permettent une infinité d’incarnations.
Luc Bondy donne à chaque personnage son poids d’humanité.
La grande Jutta Lampe est Arkadina, l’actrice adulée, la diva égoïste. Gert Voss est Trigorine, son amant, l’écrivain admiré par Nina, cette frémissante mouette, incarnée par Johanna Wokalek. Tandis qu’August Diehl est l’ardent et torturé Konstantin Treplev, le fils d’Arkadina, cet Hamlet de province sans père à venger et sans cause.
Un tableau, peint par Gilles Aillaud, tient lieu de fond de scène, un jour nébuleux en montagne, mélancolique. Nous sommes en Russie mais aussi dans toute compagnie qui se réunit à la campagne, s’aime, se déteste, cherche un sens à son existence.
S’il y a quelque chose qui n’existe pas chez Tchékhov, c’est la peinture en noir et blanc. Tout ce qui s’apparente à la gravure sur bois et donc à la simplification lui est suspect. Plutôt que de livrer des réponses, il s’en tient aux questions et à ces nuances fines qui viennent fortuitement s’additionner à la couleur indéterminée de la mélancolie, mais qui brillent la plupart du temps d’une lueur ambiguë. Un jeu, un équilibre où rien ne se produit sans distance. Sans le sourire entendu de l’ami discret du genre humain.
Lima Rakusa (traduit de l’allemand par Jean Torrent)
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