Bérénice, reine des juifs ?

Qui était-elle, cette femme tant aimée de Titus ? Une intrigante, belle comme le jour, qui parvient à se faire aimer du futur empereur de Rome ? La reine de Galilée, qui soutint son peuple sous le joug des romains ? Une femme exceptionnelle et ambitieuse, qui manqua faire plier Rome ?

On sait peu de chose de la vie de Bérénice, et on ne connaît pas son visage.
Sa vraie vie fut bien différente de celle que nous présente Racine dans son drame Bérénice, publié en 1670, ou Corneille, qui rédige la même année  la « comédie héroïque » Tite et Bérénice.
Elle naît vraisemblablement à Rome vers 28. Son père Agrippa est un petit-fils d’Hérode le Grand, placé sur le trône de Judée par les romains en 37 av. JC.
Elle est très tôt mariée à Marcus Alexander, un riche juif d’Alexandrie (où vit une importante diaspora, très hellénisée). Rapidement veuve, elle est remariée encore jeune fille par son père à son oncle Hérode, le roi de Chalcis (au sud de la Syrie), dont elle a deux fils.
Mais il meurt vers 48 et Bérénice choisit d’aller vivre auprès de son frère Agrippa II, jouant le rôle de reine à ses côtés (alors même qu’il est marié).

Agrippa II gouverne, au nom de l’empereur Néron, un territoire qui comprend une partie de la Galilée, et « la Judée outre-Jourdain ».
L’État juif, hellénisé puis romanisé, est une mosaïque de micro-royaumes et de cités. Les rois, totalement dépendants de l’Empire romain, portent des noms grecs, parlent le grec à côté de l’araméen, mais pas l’hébreu, réservé au sacerdoce. Le père de Bérénice, Agrippa Ier, a été élevé à Rome avec le futur empereur Claude.
En Palestine, la révolte populaire gronde contre le joug de l’Empire dont le poids est partout visible. Jérusalem possède un gymnase, un théâtre, des thermes… Entre le peuple fidèle à la Torah et ses élites romanisées, le gouffre ne cesse de se creuser.
Bérénice accompagne son frère dans ses déplacements importants. Elle fait ainsi son entrée en grande pompe dans la salle d’audience où elle siège aux côtés d’Agrippa II, lors de la comparution de Paul de Tarse (Saint Paul) à Césarée, en 60.

Le procès de l'apôtre Paul en 60 (huile sur toile par Nikolai Bodarevski, 1875)

Le procès de l’apôtre Paul en 60 (huile sur toile par Nikolai Bodarevski, 1875)

Lorsque la révolte éclate contre Rome, en 66, Bérénice envoie d’abord ses officiers supplier le procurateur de Judée (= gouverneur de la province) de mettre un terme à la répression, puis se rend elle-même à ses pieds, vainement. Elle entend incarner alors l’héroïne juive qui, comme Esther ou Judith, protège son peuple. Dans les faits, « son peuple » ne la reconnaît pas comme sa reine, d’autant moins que son frère n’a autorité que sur une faible part de l’ancien état juif, et qu’il a prié lui-même les insurgés de se soumettre à l’autorité romaine.

Au printemps 67, le général Vespasien débarque en Palestine comme légat de Judée (= chargé de mission), pour mater la rébellion. Bérénice et Agrippa font aussitôt allégeance, l’invitant à loger dans leur palais de Césarée, lui et son fils Titus.
L’écrivain et historien Flavius Joseph prédit alors à Vespasien qu’il sera empereur, alors que rien ne l’y destine. Mais en 68 Néron est assassiné et une guerre de succession s’ouvre. Il est probable que Bérénice ait alors joué de son entregent auprès des rois de la région. Peu à peu, l’idée de faire proclamer Vespasien empereur par les armées d’Orient fait son chemin.
Le 1er juillet 69, le préfet d’Egypte Tibère Alexandre – ex-beau-frère de Bérénice – fait jurer fidélité à Vespasien par ses légions. L’armée de Judée suit. La prophétie s’est réalisée.

Arc de triomphe de Titus, à Rome

Arc de triomphe de Titus, à Rome

Vespasien rentre à Rome, laissant à son fils Titus le soin de prendre Jérusalem aux insurgés. Le siège dure 6 mois, mais la ville tombe au mois d’août 70, et le Temple, premier lieu sacré des juifs, brûle.
Titus regagne l’Italie partager le triomphe de son père, puis, de plus en plus, le pouvoir.
Il laisse derrière lui Bérénice, dont il est l’amant depuis deux ans, mais elle ne le rejoindra à Rome que cinq ans plus tard, en 75.

Titus l’installe dans son palais, et promet de l’épouser, bravant le scandale. Bérénice, à 48 ans, ne peut plus donner un héritier au futur empereur et souffre d’une réputation exécrable, tant auprès des Juifs qui l’accusent de les avoir trahis, que des Romains, largement antisémites. En 78, Titus renvoie Bérénice. « Malgré lui, malgré elle » (invitus invitam), écrit l’historien Suétone. C’est cette petite phrase qui inspirera Racine et Corneille.

Buste de Titus

Buste de Titus

Titus meurt deux ans plus tard emporté par la malaria. Il semble avoir été un bon empereur, « délice du genre humain » selon Suétone, et est connu pour avoir prodigué son aide aux victimes de l’éruption du Vésuve, en 79.
On ignore la date de la mort de Bérénice, vraisemblablement retournée auprès de son frère.
C’est Madeleine de Scudéry, célèbre « précieuse » du Siècle d’Or, qui traça la première un portrait de « la reine » Bérénice, dans ses Lettres de Bérénice à Titus (1642).

Bérénice
de Jean Racine
mise en scène Célie Pauthe
11 mai – 10 juin - Berthier 17e