Tennessee Williams, Rose, Edwina, Hazel, Françoise, Carson, Maria…

Edwina Williams avec Rose et Thomas, vers 1914

Edwina Williams avec Rose et Thomas, vers 1914

Thomas Lanier Williams (il prendra le pseudonyme de Tennessee en hommage à ses grands-parents qui vivaient dans cet État) est né à Columbus (Mississippi), le 26 mars 1911, et a passé son enfance, avec sa mère Edwina et sa sœur Rose, chez ses grands-parents. Son père était voyageur de commerce et presque toujours absent.
Enfant, Rose était pour Thomas « sa sœur quasi-jumelle », son aînée de deux ans, avec qui il partageait tout.
En 1937, à 28 ans, Rose est internée pour schizophrénie. Le 13 janvier 1943, elle est lobotomisée. Toute sa vie Tennessee Williams se reprochera de n’avoir pas su aider sa sœur à l’adolescence, à endiguer son lent basculement dans la folie, et de n’avoir pas su dire non à la décision d’un acte chirurgical fatal.
Rose était rebelle, fantasque, elle compliquait la vie de leur mère Edwina, qui tenta par tous les moyens de réprimer ses pulsions de jeune fille, en particulier en amenant à la maison des prétendants potentiels. Peu à peu, Rose ne s’exprimait plus qu’en riant et en proférant des « torrents d’obscénités ». Tennessee Williams la fuit de longs mois, comme s’il craignait d’être à son tour touché par la maladie qui avait touché plusieurs membres de sa famille maternelle. La lobotomie, dont il n’aurait été averti qu’après l’opération, calme effectivement Rose, mais elle ne sera jamais plus une personne « normale », et continuera à délirer verbalement, au grand désarroi de Tennessee. Il ne pouvait que constater la névrose de sa sœur, mais considéra toujours la décision prise par leur mère comme un acte égoïste et injustifiable.

Rose Williams, vers 1930

Rose Williams, vers 1930

En 1959 il publie sa pièce de théâtre Soudain l’été dernier, dans laquelle une femme, Violet Venable, tente de faire taire par une lobotomie sa nièce Catherine, car elle tient des propos qui la dérangent…
Rose semble aussi être le modèle de la Laura de La Ménagerie de verre, une des premières pièces de Tennessee, écrite en 1944, juste après l’opération de Rose, et qui le rendra célèbre.
Laura, « la jeune fille en verre », est une adolescente un peu lunaire que sa mère veut marier à tout prix. Au cours de la didascalie qui introduit la pièce, l’auteur donne le ton : « La pièce se passe dans la mémoire. La mémoire se permet beaucoup de licences poétiques. Elle omet certains détails ; d’autres sont exagérés, selon la valeur émotionnelle des souvenirs, car la mémoire a son siège essentiellement dans le cœur. L’intérieur de l’appartement est donc plutôt obscur et poétique. » Laura possède une licorne, pièce maîtresse de sa collection d’animaux en verre. Au cours d’une soirée avec un prétendant, celui-ci casse la corne qu’elle a au front, la privant de sa personnalité. On ne peut écrire allusion plus claire à la lobotomie de Rose…

Alors que sa sœur, à la puberté, commençait à s’éloigner un peu de lui, Thomas-Tennessee rencontra Hazel Kramer ; il avait alors 11 ans et elle 9. « Je crois pouvoir dire en toute sincérité qu’en dépit des amours homosexuelles que je devais connaître quelques années plus tard, Hazel fut, en-dehors de ma famille, le grand amour de ma vie. » Hazel se marie en 1935, au grand chagrin de Tennessee. Ils resteront amis, jusqu’à la mort prématurée de celle-ci à 38 ans.

Sa vie durant, Tennessee Williams s’entourera de femmes, aucune ne venant cependant remplacer sa sœur Rose dont il s’occupe assidûment. En 1975 il écrit dans ses mémoires que prendre soin de Rose « est probablement la meilleure chose [qu’il ait] fait de [sa] vie ».

Parmi ses nombreuses amies : Françoise Sagan, qui a traduit et fait jouer Tennessee Williams en France. Il lui disait qu’elle était sa « dearest girl ». Ils resteront proches pendant près de 20 ans. Ou Anna Magnani, qu’il admire éperdument, et pour qui il écrira La Rose tatouée en 1950.

Carson McCullers et Tennessee Williams

Carson McCullers et Tennessee Williams

En mai 1946, Tennessee lit Frankie Adams de Carson McCullers. Il lui écrit une lettre enthousiaste et l’invite à passer dans la maison qu’il a loué pour l’été. À sa surprise elle le prend au mot et débarque. À 29 ans, Carson est une personne très gaie, et sa visite est « comme un rayon de soleil » dans la vie de Tennessee. Ils écrivent tous deux dans la même pièce, elle lui redonne confiance dans son écriture, lui prodiguant même quelques conseils. Il l’appelle « Sister-woman », elle le nomme « 10 puissance 6 ». Il offrira même à Carson une bague ayant appartenu à Rose. Carson partage avec la sœur de Tennessee une santé mentale défaillante, son corps lâche prise, elle tente de se suicider en 1947. Tennessee la soutiendra jusqu’à la fin, quatorze ans plus tard. Ils passent souvent leurs étés ensemble. Françoise Sagan, présente une année, décrit Tennessee et son compagnon d’alors : « je vis ces deux hommes s’occuper de cette femme, la coucher, la lever, l’habiller, la distraire, la réchauffer, l’aimer » (Avec mon meilleur souvenir, Gallimard, Folio, 2010).
Tennessee a conscience qu’il ne peut pas tout :  « [Carson] a connu tant de drames dans sa vie qu’on finit par paniquer et opter pour l’indifférence, comme si elle était damnée sans espoir et qu’on ne puisse pas supporter d’y penser : c’est ce que je ressens pour ma sœur. »

Beaucoup d’autres femmes entourent Tennessee Williams, il serait difficile de toutes les citer, mais pour le rôle qu’elle tiendra jusqu’après sa mort, citons Maria Britneva, traductrice du russe, médiocre danseuse et comédienne, devenue Lady St. Just après son mariage en 1956, son amie trente-cinq ans durant, qu’il nommera co-exécutrice de la fondation Rose Williams (qu’il a créé pour assurer les soins de sa sœur s’il venait à mourir avant elle − Rose lui survivra en effet treize ans) et qui s’instaurera exécutrice littéraire après sa mort, sans aucune raison officielle.

Tennessee Williams avec Maria St. Just, Cannes, 1976

Tennessee Williams avec Maria St. Just, Cannes, 1976

À lire :
Tennessee Williams : Une vie. Par Catherine Fruchon-Toussaint. Ed. Baker Street, 2011.

Soudain l'été dernier
de Tennessee Williams
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig

du 10 mars 14 avril / Odéon 6e
création