Jupon, cravate et godillot

Fondamentalement, le métier d’habilleuse (ou d’habilleur, car il y a aussi des garçons et à l’Odéon on a la chance d’en avoir !) c’est de vérifier tous les jours qu’un comédien respecte le costume tel qu’il a été conçu par le costumier. Que le comédien a ses accessoires dans ses poches, etc. Au bout de vingt représentations le costume doit être toujours le même, donc il faut parfois refaire une patine, savoir entretenir toutes les matières… savoir nouer les cravates suivant les styles, connaître l’histoire du costume.
Autrefois, on disait que n’importe qui pouvait être habilleuse, la concierge, l’ouvreuse, une ancienne comédienne ! Alors que c’est un métier qui implique de nombreuses compétences : savoir coudre, refaire des teintures, repasser, réparer des bijoux, recoller des chaussures !

détails d’éléments exposés dans le bureau de Christine Rockstedt © Charlotte Klein

Entretien avec les responsables de l’habillement, Christine Rockstedt et Jennifer Ribière

Juliette Caron – Pourquoi avez-vous choisi ce métier ?
Christine Rockstedt – En CAP de couture, je ne voulais pas me retrouver en usine. Un professeur m’a indiqué ce métier que je ne connaissais pas. Il n’y avait alors que l’école de la rue Blanche.
J’ai commencé comme habilleuse aux Folies Bergère, on y apprenait à faire des changements de costumes très rapides, j’ai aimé l’ambiance.
Jennifer Ribière – Je savais que je voulais faire de la couture depuis l’âge de 12 ans. Pendant les cours de couture, on a fait un stage avec des costumières, et j’ai bien accroché. Elles m’avaient ensuite appelée pour me proposer un boulot d’habilleuse dans une compagnie. J’ai commencé comme ça, je nesavais pas en quoi ça consistait. J’ai aimé le contact humain. J’avais travaillé en atelier de costume et puis je me demandais toujours ce qu’allait donner le costume une fois sur scène, c’était frustrant.
J. C. – Quels sont vos rapports avec les costumiers créateurs ?
C. R. – C’est vraiment deux mondes différents. Il n’y a plus d’atelier de couture à l’Odéon depuis Jean-Louis Barrault. Mais parfois on monte un atelier en interne, c’était le cas sur Le Prix Martin, et on embauche des couturiers. Quand on crée un spectacle à l’Odéon, pendant les répétitions les habilleuses peuvent faire remonter les désirs du metteur en scène ou des comédiens vers le costumier.
Les habilleuses font parfois des transformations sur les costumes pour les adapter à des changements très
rapides. Il faut trouver des solutions quand le metteur en scène vous dit «le changement doit avoir lieu en tant de secondes» : on met des velcros à la place des boutons. Sur La Cerisaie montée par Georges Lavaudant, le costume de Sylvie Orcier avait 34 boutons, la costumière y tenait. On était à trois, on les fermait en moins de 4mn !
J. C. – En quoi consiste une journée d’habilleuse ?
C. R. – Avec les 35 heures on a dû changer de manière de fonctionner. Avant, l’habilleuse – ou l’habilleur car il y a aussi des garçons et à l’Odéon on a la chance d’en avoir ! – l’habilleuse donc arrivait à 15h, préparait le séchage, le repassage, la vérification des coutures des costumes, elle remettait en loge, préparait sa mise plateau, et avant le début du spectacle elle attendait le comédien, vérifiait tout et l’aidait à s’habiller.
Elle faisait les changements pendant le spectacle s’il y en avait. À la fin du spectacle elle ramassait tout le linge et faisait partir les machines. Maintenant le travail est scindé en deux : celles qui sont lingères sur le matin, et celles qui sont sur le spectacle.
Sur un changement rapide, concrètement, on installe les éléments de costume dans un certain ordre de manière à ne pas avoir à chercher comment on va les mettre. Un jupon va par exemple être installé par terre, de manière à mettre les pieds dedans directement… Le mieux est que le comédien soit passif, qu’il se laisse faire, quand il veut aider on perd du temps !
Les changements peuvent aussi se faire sur le plateau, à vue. Sur Le Temps et la Chambre, la mise en scène de Patrice Chéreau, je faisais un changement sur Anouk Grinberg, sur un élément de décor qui montait des dessous de scène, derrière un gros arbre creux, et il fallait que je disparaisse avant qu’il soit arrivé au niveau du plateau !
Mais fondamentalement, le métier c’est de vérifier tous les jours qu’un comédien respecte le costume tel qu’il a été conçu par le costumier. Au bout de vingt représentations le costume doit être toujours le même, donc il faut parfois refaire une patine, savoir entretenir toutes les matières… savoir nouer les cravates suivant les styles, connaître l’histoire du costume.
Autrefois, on disait que n’importe qui pouvait être habilleuse : la concierge, l’ouvreuse, une ancienne comédienne ! Alors que c’est un métier qui implique de nombreuses compétences : savoir coudre, repasser, réparer des bijoux, recoller des chaussures ! Ça s’apprend en général sur le tas, suivant les envies et curiosités de chacune. Il existe un diplôme, mais la formation reste très incomplète.
J. C. – J’imagine que ce qui est intéressant c’est le travail avec les comédiens le soir ?
C. R. – Non, c’est un seul poste, il y a toujours un lien entre matin et soir. Si ses chemises n’étaient pas bien lavées, le travail du soir avec le comédien serait plutôt tendu !
Dans ce métier il faut faire attention à ce qu’on dit, il faut être diplomate et psychologue. On ne travaille pas avec un meuble, on a une personne en face qui peut avoir des réactions inattendues. Quand j’ai commencé, on m’a dit «une habilleuse c’est comme les trois singes : elle ne voit rien, n’entend rien, ne dit rien». On est là, on écoute, on est un peu l’épaule, c’est à nous de savoir où il faut s’arrêter.
En trente ans de maison, on retrouve des comédiens, c’est plaisant. Par exemple Nada Strancar était en 1985 sur L’Illusion avec Strehler, on l’a retrouvée avec Olivier Py sur L’Orestie, et elle revient la saison prochaine sur le Françon.
J. R.  – On n’est pas la mère, mais on écoute beaucoup. Il faut que la confiance s’établisse, mais il faut aussi
savoir prendre de la distance.
C. R. – Il y a des comédiens qu’il faut gérer, ils oublient de rentrer en scène, ils partent au café à côté – en costume ! Il faut aller les chercher. Le régisseur ne peut pas être partout. L’habilleuse indique au comédien quand il doit repartir en scène.
J. C. – Quel est votre souvenir le plus marquant ?
J. R.  – sur Un Fil à la patte (Georges Lavaudant), on riait autant en coulisse que dans la salle ou sur le plateau  ! Par contre j’ai un mauvais souvenir sur Léonce et Léna (A. Engel) parce qu’Évelyne Didi était tombée du plateau en raison de la boucle d’un de ses godillots qui s’était prise dans le crochet de l’autre. Je n’étais pas directement responsable mais c’était un élément du costume et tout le monde a eu très peur, elle avait fait une sacrée chute.
C. R. – Les mauvais moments, on essaye de les oublier. Par contre je me souviens que sur La Mouette mise en scène par Andreï Kontchalovski, j’avais deux comédiens à habiller, et l’un d’eux me faisait des farces tous les soirs ! C’était devenu un rituel quotidien, je devais deviner ce qu’il m’avait préparé, il me planquait des accessoires, c’était très drôle.Propos recueillis par Juliette Caron, 12 juin 2014