Les Ateliers Berthier : histoire d’un bâtiment

6 janvier 1894 : un terrible incendie ravage les ateliers et entrepôts de décors de l’Opéra et de l’Opéra-Comique, situés 6-8 rue Richer, dans le 9e arr., au plein cœur d’un quartier densément peuplé. Au lendemain du sinistre, l’ensemble de la presse s’émeut et réclame une décision.

C’était en effet le 2e incendie d’envergure en 30 ans et Charles Garnier, l’architecte de l’Opéra, avait déjà plusieurs fois fait état de l’insuffisance de place pour loger les décors rue Richer, et aussi du danger d’incendie qu’ils font courir aux habitations. Dès le 25 janvier 1894, le déplacement des ateliers et entrepôts de décors est décidé : le ministère de la guerre libère 2 terrains appartenant à la défense de Paris, les anciens bastions 44 et 45 de l’enceinte fortifiée de Thiers. Le bastion 45 va à l’Opéra-Comique pour ses propres ateliers et ceux du Théâtre de l’Odéon. Le bastion 44 est alloué à l’Opéra, l’architecte Charles Garnier devant réaliser ces nouveaux bâtiments.
Le choix de cet emplacement a un double avantage : il ne coûte rien à l’État, et l’absence de voisinage réduira les risques d’incendie. Il est entendu qu’en cas de nouveau conflit, les bâtiments se transformeront rapidement en baraquements pour les troupes. Ils doivent donc être conçus simplement et pouvoir être transformés à moindre coût.
Quant à la distance entre les ateliers et l’Opéra ? La presse de l’époque loue le choix de cet emplacement qui conjugue la sécurité et la praticité pour les machinistes de l’Opéra, puisque le tramway d’Asnières, qui passe à côté, a son terminus à l’Opéra, garantissant un trajet de seulement vint-cinq minutes entre les deux sites ! La presse oublie que les décors ne prennent pas le tramway… le transport des toiles jusqu’à l’Opéra prend 2h de marche.
La construction s’étalera entre 1895 et 1898, la clôture de l’ensemble n’étant réalisée qu’en 1901, pour prévenir l’intrusion des chiens errants potentiellement enragés. Du bastion de l’enceinte fortifiée il ne restera plus qu’un mur et un talus herbeux, escarpe et contrescarpe.
Trois bâtiments sont édifiés, un atelier au centre et les magasins de décors à l’est et à l’ouest, symétriquement autour d’une cour.
Le bâtiment central comprend une grande menuiserie, deux ateliers de peinture à chaque extrémité, et au fond une plate-forme surélevée, destinée aux tapissiers. Sur cette plate-forme, deux ateliers, fermés et chauffés au besoin, pour les couturières.
Les deux bâtiments latéraux de stockage des décors sont sécurisés au moyen d’un « grand secours » très moderne : chaque case à décors est surmontée d’une pomme de douche actionnable depuis la cour centrale. Tout départ de feu doit pouvoir être éteint en moins de 5mn.
Le bâtiment de droite abrite des râteliers particuliers qui accueillent les grandes toiles de fond de l’Opéra, jusqu’alors stockées dans les cintres de la scène, stockage dangereux et encombrant qu’il convenait de supprimer.

Des bâtiments en ciments ont été accolés en 1958 à l’arrière des bâtiments latéraux.
Les ateliers construits par Garnier ont été inscrits en 1990 à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques. L’intérêt principal de cet ensemble réside dans le fait qu’il constitue la seule œuvre à caractère industriel de Charles Garnier qui nous soit parvenue, et qui soit toujours utilisée pour ce pour quoi elle avait été conçue, démonstration de sa parfaite adaptation à sa fonction.

L’Odéon à Berthier : alors que le bâtiment central abrite toujours les ateliers de décors de l’Opéra, en 1999 le ministère de la Culture a autorisé L’Odéon-Théâtre de l’Europe à installer ses propres ateliers et une salle de répétition dans le bâtiment de gauche, qui n’était plus utilisé.
En 2003, en raison des travaux que connaissait la salle historique du 6e arr., l’Odéon s’est installé dans le bâtiment de droite, devenu officiellement sa deuxième salle en mai 2005. Ateliers, salle de répétition et salle de spectacle dans un même lieu permettent à tous les métiers des arts du spectacle de travailler ensemble, depuis les premières esquisses de la scénographie jusqu’aux saluts devant les spectateurs.

Peintre_Art-du-theatre_n19_1902

Atelier de peinture de l’Opéra. Revue L’Art du théâtre, n°19, 1902.