Les Macbeth de l’Odéon

12 janvier 1784, dans le théâtre encore presque neuf construit pour les comédiens du roi (le bâtiment a été inauguré en avril 1782, et ne s’appelle pas encore Odéon) : première présentation de Macbeth, dans sa version très arrangée au goût français par Jean-François Ducis (qui ne connaissait pas l’anglais !). La pièce sera rejouée, avec quelques changements à l’intrigue, en 1791.

Pendant tout le mois de septembre 1827 l’Odéon donne l’hospitalité à une troupe de comédiens anglais qui obtient un grand succès, en particulier avec Hamlet et Romeo and Juliette. On se plaignit dans une certaine presse que l’Odéon soit envahi par les étrangers, mais le public admira le talent tragique de Charles Kemble et la grâce de Miss Harriet Smithson. La troupe termina sa tournée au Théâtre-Italien, où elle présenta Macbeth interprété par William Macready…

“J’assistai à la première représentation d’Hamlet à l’Odéon le 11 Septembre 1827. Je vis dans le rôle d’Ophelia Henriette Smithson qui, cinq ans après est devenue ma femme. L’effet de son prodigieux talent, ou plutôt de son génie dramatique, sur mon imagination et sur mon cœur, n’est comparable qu’au bouleversement que me fit subir le poète dont elle était la digne interprète […] Shakespeare, en tombant sur moi à l’improviste, me foudroya. Son éclair, en m’ouvrant le ciel de l’art avec un fracas sublime, m’en illumina les plus lointaines profondeurs. Je reconnus la vraie grandeur, la vraie beauté, la vraie vérité dramatiques.”
Hector Berlioz, Mémoires, Chap. XLV. Calmann-Levy éd. publié à titre posthume en 1870

Sous la Seconde République, à l’automne 1848, les comédiens de l’Odéon réunis en société, font appel aux grands auteurs de leur temps, Hugo, Dumas, Balzac, pour leur écrire une pièce digne de cette nouvelle république et de l’Odéon. En vain. Mais Émile Deschamps, poète aujourd’hui oublié alors qu’il fut l’un des fondateur du mouvement romantique (et le librettiste du Roméo et Juliette de Berlioz, cf. supra), sortit de ses cartons une traduction de Macbeth qui y sommeillait depuis plus de vingt ans.
La pièce sera jouée deux mois, avec un certain éclat et des recettes honorables.

les comédiens Taillade et Mlle Karoly, couverture du Journal Amusant, 1863

Les comédiens Taillade et Mlle Karoly, couverture du Journal Amusant, 1863

C’est ensuite la traduction quasi littérale et en vers de Jules Lacroix qui est montée le 10 février 1863, sous le Second Empire, et tiendra l’affiche pour 88 représentations !! Avec les comédiens Taillade et Mlle Karoly. Elle est reprise vingt ans plus tard, le 31 octobre 1884, sous la Troisième République, avec Paul Mounet et Mlle Taillandier et pour 44 représentations.

Gala Shakespeare, article paru dans Comœdia, 4 juin 1921

Gala Shakespeare, article paru dans Comœdia, 4 juin 1921

Nouvelle traduction de Georges Clerc, beaucoup plus fidèle, le 20 janvier 1891. Avec Lucien Guitry, considéré comme le plus grand comédien de son époque (et le père de Sacha…).
Pas de succès cette fois, et seulement 15 représentations…

Un « gala Shakespeare » est organisé les 6 et 8 juin 1921, à l’invitation du gouvernement français et du directeur de l’Odéon, le grand Firmin Gémier.
James K. Hackett, célèbre acteur américain, interprète Macbeth. Mme Thorndyke, artiste anglaise, l’accompagne. Le 6 juin la pièce est donnée en entier, et en version originale, et le 8 juin sont joués des extraits de différentes tragédies de Shakespeare, en anglais et en français.

Alors que l’Odéon rouvre enfin en décembre 1969, après les événements de Mai 68, mais sans vraie direction, le Théâtre national Daniel Sorano de Dakar y présente plusieurs spectacles dont une mise en scène de Macbeth par Raymond Hermantier.
Soirée de Gala le 12 décembre en présence de M. Léopold Sédar Sanghor, président de la République sénégalaise, et de M. Edmond Michelet, ministre chargé des Affaires culturelles françaises.

En octobre 1996, sur la scène de l’Odéon, Carmelo Bene (avec Silvia Pasello) rend Macbeth – au double sens de rejeter par la bouche et de restituer une impression.
C’est Macbeth Horror Suite, l’équivalent de ce fameux silence habité dont le poncif nous dit qu’il suit la musique de Beethoven, à ceci près que ce qui suit Macbeth est une horror suite, où ce qui vibre encore en elle de la pièce originelle est, au sens premier, un écho, c’est-à-dire un phénomène de réflexion du son (et du sens) par des obstacles (un acteur, des accessoires) qui le répercutent.

Carmelo Bene © Piero Tauro

Carmelo Bene © Piero Tauro

Et puis voilà finalement qu’une forêt marche, comme les sorcières l’avaient prédit à Macbeth : A Floresta que anda, par Christiane Jatahy, « composition sur Macbeth » présentée en octobre 2016 au Centquatre avec l’Odéon, et réalisée avec la complicité active du public. L’espace scénique paraît se confondre avec celui d’une galerie d’art contemporain. Les spectateurs y circulent à leur guise, libres de s’attarder ou non devant les écrans où sont diffusés des entretiens avec quatre victimes de la violence d’État. La comédienne Julia Bernat incarne une présence féminine qui est comme l’émanation de l’inconscient de l’œuvre – une sorcière guidant le public sur les deux versants du rêve, du côté du peuple et du côté des régicides. Quant à Macbeth, il revient chaque soir à un interprète différent d’en incarner brièvement la figure…

Macbeth
de William Shakespeare
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig

Odéon 6e / 26 janvier – 10 mars 2018