Une petite histoire du naturisme, de Physiopolis aux Particules élémentaires

Michel Houellebecq a planté dans un camp naturiste huit chapitres de son roman Les Particules élémentaires. Dans ce camping, son héros se masturbe en dissertant sur la fin de l’idéologie post-soixante-huitarde, tandis que quelques femmes pleurent leur jeunesse et leurs illusions, s’oublient dans une frénésie sexuelle…
Petit retour sur le naturisme, le nudisme, et leur histoire germano-française.

 

En dépit de l’absence d’une définition stricte et unanimement partagée de ce qu’est le naturisme, un ensemble de convictions et de comportements communs en donne les contours.

« Autrefois l’être humain vivait en harmonie avec la nature » est son credo. Avec l’entrée dans la modernité, l’homme aurait rompu les liens qui l’unissaient à la nature pour vivre en sédentaire dans l’atmosphère malsaine des villes. Derrière le projet de régénérer l’homme par la nature se profile l’aspiration au retour à un ordre ancien disparu, la nostalgie du paradis perdu, la volonté de retour à l’état de nature originel, tel celui que Rousseau appelait de ses vœux dès le XVIIIe siècle.
À la fin du XIXe les anarchistes, parmi d’autres mouvements, revendiquent très largement un mode de vie naturiste.

Le mouvement qui allie nudisme au naturisme se développe au début du XXe siècle en Allemagne autour des villes d’eaux et des cures. La pratique de la nudité en public en Allemagne, détachée de toute connotation sexuelle, est même antérieure au développement du mouvement naturiste. Naturisme ne signifie pas nudisme, mais le nudisme, qui libère le corps de toute contrainte, s’insère « naturellement » dans la pensée naturiste.

En France, il faut attendre l’entre-deux-guerres pour qu’un mouvement naturiste valorisant le nudisme se dessine. Après l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, un retour à la nature, à « l’innocence première » est à l’ordre du jour. Au-delà des préoccupations hygiénistes, le plaisir à se débarrasser de ce qui enserre le corps entre aussi en ligne de compte. Des communautés alternatives se forment.
L’association entre naturisme et centre de loisir naît à ce moment-là en France. Il s’agit de profiter collectivement des bienfaits de la nature en été. En 1928, deux frères, médecins « hygiénistes », Gaston et André Durville, créent le Domaine de Physiopolis dans l’île de Platais (commune de Médan, à 30km de Paris : une île de la Seine, protégée par un rideau d’arbres, accessible uniquement par bateau).

Nudiste sur la plage de Fomentera

Nudiste sur la plage de Fomentera

Alors que les premières autorisations de la pratique du nudisme sur les plages remontent aux années 1920 en Allemagne, il faut attendre 1956 en France, à Montalivet (Gironde), et les années 1970-80 pour la plupart des autres plages nudistes françaises. En France, le nu a d’abord été enfermé dans des centres pour des raisons d’incompatibilité avec la loi et les mentalités, avant d’investir certaines portions balnéaires bien délimitées et généralement isolées. Les centres naturistes de vacances offrent un dépaysement par rapport au mode de vie habituel, tandis que le nudisme de plage y revêt une dimension communautaire et sexuelle assez affirmée.
Ce qui tend finalement à s’implanter partout, c’est le nudisme balnéaire, plus que la pensée naturiste originelle. Dans la France de l’après-68, marquée par la révolution sexuelle et le mouvement hippie, la recherche d’une autre mode de vie participe à un renouveau du naturisme.

La croissance de l’offre d’hébergement naturiste soutenue par l’État a transformé la France en première destination naturiste mondiale. L’exception française réside dans la combinaison d’un naturisme intégré au tourisme balnéaire de masse, et accompagnée de réalisations urbaines uniques au monde (Le Cap d’Agde, Port-Leucate).
Le nudisme, autorisé ou sauvage, est également pratiqué en France sur des plages « vertes » (en bord de lac ou de cours d’eau), mais il reste interdit et rarissime dans des espaces verts urbains, ce qui distingue la France du modèle germanique.
En Ile-de-France, seuls des secteurs confinés de bois (le Bois de Vincennes, autorisé depuis une décision récente de la Ville de Paris) et des rives de Marne accueillent occasionnellement quelques nudistes, très peu nombreux et majoritairement gays, exposés au risque permanent de verbalisation.

panneau périmètre naturisme autorisé

Aujourd’hui, il en est du naturisme comme de beaucoup de mouvements associatifs : il connaît une désaffection et un certain vieillissement des militants. La montée de l’individualisme et des préoccupations commerciales aux dépens de l’idéal naturiste minent le mouvement, plus encore en France qu’en Allemagne.

À lire : Histoire du naturisme : Le mythe du retour à la nature. Par Arnaud Baubérot. (Presses universitaires de Rennes, 2004)