Antoine Vitez, un humaniste au service du théâtre

« L’acteur n’est pas un instrument. Son corps et sa voix ne sont pas des instruments au service d’une âme cachée, mais son être même. »

Au cœur de la pratique d’Antoine Vitez il y avait « le cercle de l’attention », que nous formions. C’est au centre de ce cercle que se déroulait le travail qu’Antoine déchiffrait, expliquait, développait. Et dans ce travail, le corps était primordial. Le corps est un signe dans l’espace, le corps fait signe, il est parti intégrante de l’écriture, il participe de l’écriture du plateau et il a toute sa place dans la manière de restituer un texte. De plus, le travail du corps participe du rapport au texte et au sens. Un geste simple, par exemple lever les bras, cette action physique là, imprime quelque chose à la respiration de l’acteur qui va modifier son rapport au texte. Penser le texte ne suffit pas. On n’entre pas dans le travail par la pensée, de manière cérébrale.
Il y avait bien sûr un travail sur le sens et de contextualisation, mais au plateau, cette chose là étant entendu, le corps était primordial. Vitez était « visionnaire » des corps au travail. Sans que la chose ne soit complètement arrêtée car il n’y avait pas non plus de dogme dans la pratique. Vitez partait toujours de la proposition faite par les acteurs et construisait avec cela. Il écrivait sa mise en scène avec les écritures de chacun. Cette manière de faire amène à l’idée du « cercle de l’attention ». Au centre il y a l’acteur, celui qui agit. L’ensemble de ceux qui participent, se met autour de celui ou ceux qui proposent et cherchent à comprendre. À tour de rôle chacun entre ou sort du centre, est acteur ou spectateur. Mais personne ne s’installe dans la position centrale même s’il y a un « maître » qui élucide les figures.
Pour être concret : Antoine faisait des mises en scène à vue. Tout le monde avec le bouquin, – il y a tant de personnages, qui fait celui-ci ou celle-là ? – l’un ou l’autre va au plateau, tous sont témoins de la construction du sens, tous porteurs de signes pour rendre concret ce qu’Antoine vient d’expliquer. Tous comprenaient le processus dans un va et vient collectif à l’intérieur de ce fameux cercle de l’attention.

Antoine Vitez au milieu de ses élèves © Barbara Bouley

Antoine Vitez au milieu de ses élèves, 1987
© Barbara Bouley

Le but de la soirée du 21 janvier est rendre concret et vivant, avec des exemples précis, ce qui est énoncé de façon plus théorique dans les écrits sur le théâtre d’Antoine Vitez. Mettre des anecdotes, de l’humain, du vécu sur une pensée théorique. Montrer comment ce metteur en scène avec une pensée très précise a habité une pratique. Non seulement rendre vivants des concepts, mais montrer également les traces laissées par le travail. Les élèves de l’École ont été formés comme acteurs mais aussi comme gens de théâtre, et comme êtres humains dans le monde. La pensée d’Antoine et sa manière de regarder le monde les habitent encore aujourd’hui.
Antoine Vitez faisait entrer le monde dans sa pratique. Il disait qu’il fallait faire entrer l’histoire dans le théâtre car comme il s’agit d’un art éphémère sa place doit être exactement au bon endroit dans le temps. Deux temporalités : une historique et celle du temps présent. Ces temporalités doivent se rencontrer. Un « nous », ici et maintenant, le monde au présent, avec les outils du présent. De cette ouverture sur le monde, de cette École qui ne « promettait nul débouché », ne voulait pas être « une pépinière » de futurs acteurs, témoignent les personnes qui sont sorties des promotions et ont eu des destins très différents.

« L’École n’est réservée ni aux professionnels ni aux débutants ; elle n’est pas divisée en échelons de force, d’expérience ou d’âge. On n’y préjuge pas du destin des gens ; ils se seront au moins rencontrés là. »

Antoine Vitez affirmait « faire théâtre de tout », à une époque où le répertoire primait c’était une pensée visionnaire. Il posait des principes mais les appliquait avec souplesse. Derrière l’austérité apparente se cachaient joie et fantaisie. Chez lui quelque chose venait souvent contredire le catégorique. Le plaisir de l’intelligence.

Entretien réalisé avec Isabelle Gozard et Eric Louis, ancien élèves de l’École et co-organisateurs de la soirée du 21 janvier.
Les passages entre guillemets sont des citations d’Antoine Vitez qui figurent dans l’ouvrage Écrits sur le théâtre I, L’École, (POL, 1994)

« Ils se seront au moins rencontrés là »
lundi 21 janvier 2019 - 20h / Grande salle, Odeon 6e