L’affiche du mois : Extinction – Bernhard – Lupa

2 décembre 1998 : un parterre de spectateurs curieux découvre émerveillé la première mise en scène de Krystian Lupa présentée à Paris, à l’invitation de l’Odéon et du Festival d’Automne : Les Somnambules, adaptée du roman d’Hermann Broch. Un livre réputé difficile et que Krystian Lupa et la troupe du Stary Teatr de Cracovie donnent à vivre de la plus lumineuse des façons et neuf heures de long. Fabienne Pascaud, dans Télérama, titre : “L’état de grâce”. “Voir Lupa et rêver”, s’exclame Jean-Pierre Thibaudat dans Libération.
19 janvier 2000 : Krystian Lupa revient à l’Odéon à l’invitation de son directeur Georges Lavaudant, avec une autre adaptation de roman, tout aussi monumental(e) − le roman comme l’adaptation : Les Frères Karamazov, d’après Fedor Dostoïevski. Huit heures de spectacle hypnotiques, une vision prodigieuse qui emporte les spectateurs, de plus en plus nombreux. “Lupa transpose [l’histoire des fils maudits] en apparitions somnambuliques, en parcelles de pénombre, en bribes de cantate, en gémissements d’accordéon ivre”, écrit Frédéric Ferney dans Le Figaro.

affiche ExtinctionLupa dit préférer les textes littéraires aux textes dramaturgiques parce qu’il y trouve plus d’intériorité, de spiritualité. Dans un texte intitulé Le Théâtre de la révélation, il expose sa conception du théâtre “comme instrument d’exploration et de transgression des frontières de l’individualité”.

C’est encore avec un roman adapté qu’il revient deux ans plus tard, en janvier 2002, sur la scène de l’Odéon, celui d’un dramaturge de théâtre pourtant : Thomas Bernhard. Un monologue qui ici encore tient le spectateur captif sept heures durant, pris dans les mailles du sortilège.
Extinction (Auslöschung, en allemand) est le dernier livre publié par l’auteur autrichien avant de mourir. L’histoire tient en peu de mots : Franz Joseph Murau, un intellectuel ennemi du genre humain, rejeton d’une riche famille compromise avec les nazis, liquide ses comptes devant la mort. Imprécateur, vitupérateur, on retrouve ici l’écrivain de Des arbres à abattre, une pièce publiée par Bernhard en 1984 dans laquelle il réglait déjà ses comptes avec l’Autriche, et qui fut interdite dès sa sortie. Un homme en colère, mais aussi un homme fragile, révulsé, désespéré et si humain.

“La découverte de Thomas Bernhard, c’est comme un aveu éhonté qu’on cache. Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas ces états d’explosion, trop évidents, mais là où il cherche, à l’intérieur du processus de réflexion ou de révélaton, dans ce qui est avant l’explosion et qui y mène”, écrit Krystian Lupa.

 

Wycinka Holzfällen
Des arbres à abattre
de Thomas Bernhard
mise en scène Krystian Lupa

30 novembre – 11 décembre 2016 / Odéon 6e
en polonais surtitré