«Il faut commencer par parler machinerie»

Louis Jouvet a dit : “La machinerie est la servante la plus noble du théâtre par son humble soumission au poète. Parler de la machinerie, dire son histoire, c’est dire l’histoire du théâtre.”

La machinerie consiste à manœuvrer, faire apparaître et disparaître châssis, toiles peintes, rideaux, cycloramas¹… tout cela sur le rythme prévu par la mise en scène, avec fluidité et légèreté, comme par miracle.

La Tempête de William Shakespeare, mise en scène Giorgio Strehler, novembre 1983

La Tempête de William Shakespeare, mise en scène Giorgio Strehler, 1983. © Luigi Ciminaghi

Louis XIV avait en son palais des Tuileries un théâtre qu’on appelait “salle des machines”. Mais c’est au milieu du XVIIIe siècle, quand la scène à l’italienne se complexifie et devient peu à peu le théâtre qu’on connaît aujourd’hui, quand les spectateurs quittent le plateau et que le public se diversifie, que les théâtres vont avoir besoin de machinistes expérimentés. Venus installer dans les théâtres charpentes, élingues, fils et drisses, ils sont alors généralement d’anciens marins. Ils apportent au théâtre leur langage, leurs superstitions², mais aussi bien sûr leur savoir-faire. Ce sont eux qui assurent la magie de certains effets, comme l’envol d’un comédien au moyen d’un harnais qu’on dissimule habilement dans le costume.

Au XIXe siècle ce sont les décors qui se complexifient et prennent du volume, de l’espace : les machinistes sont alors majoritairement des menuisiers, des tapissiers, des serruriers payés à la journée et révocables. Pourtant le machiniste discute avec l’équipe artistique, propose, essaye d’apporter la meilleure réponse à un effet souhaité. Petit à petit le métier obtient une reconnaissance et un statut, mais de génération en génération, le chemin d’accès au métier reste le même : on vient d’abord au théâtre pour être dans la réalité quotidienne et poétique du plateau³, vivre l’envers du décor, qu’on ait eu un premier métier ou non.

Des machinistes de l'Odéon vers 1920. Mais que fait là ce “lapin” ? © collection familiale François Vendeuvre

Des machinistes de l’Odéon vers 1920.
Mais que fait là ce “lapin” ?
© collection familiale François Vendeuvre

Aujourd’hui, alors que les porteuses (perches sur lesquelles on accroche les éléments de décor suspendu) sont de plus en plus souvent équipées d’un moteur électrique piloté par ordinateur, le métier change un peu, même si la dimension physique demeure lorsqu’on manœuvre un élément de décor non suspendu, lorsqu’on monte et on démonte, lorsqu’on prépare la scène pour la représentation du soir, après celle de la veille (“faire la mise”).
Aujourd’hui comme hier la machinerie tient parfois du bricolage le plus élémentaire, souvent de l’élaboration la plus ingénieuse. Des formations se sont mises en place, telle celle dispensée par le lycée Jules Verne de Sartrouville, ou celle du Lycée Léonard de Vinci, Paris 15e. Mais être machiniste c’est avant tout pratiquer un métier fait d’ingéniosité, de sang-froid, et bien sûr d’amour…

Les cintres de l'Odéon en 2016, photo © Benjamin Chelly

Les cintres de l’Odéon en 2016, ses perches, fils d’équipes, ordinateurs… Photo © Benjamin Chelly

¹ cyclorama : toile sans couture cachant le fond comme les côtés de la scène en un mouvement circulaire.
² on ne prononce pas le mot corde (réservé sur les navire à celle du pendu) mais on utilise un mot précis : la drisse est ainsi un fin cordage tressé. On n’utilise pas le mot lapin : accusé de ronger les fameux cordage, il était banni des navires.
³ on nomme ainsi la scène où évolue les comédiens – qu’elle soit plane ou pas – et les coulisses tout ensemble.