Une petite histoire des langues des signes

On ignore souvent que jusqu’au XVIIIe siècle, aucune tentative n’avait été faite pour éduquer les enfants sourds. On pensait qu’une personne qui ne parlait pas, ne pouvait pas penser. Les sourds étaient donc privés de toute perspective de développement intellectuel et relégués hors de toute société.

L’histoire des langues des signes modernes commence au moment où les villes européennes, toujours plus densément peuplées, rassemblent des groupes de personnes sourdes ou malentendantes assez importants pour que des langues signées surgissent en leur sein et soient transmises de génération en génération. Les premières langues signées se développent donc à l’intérieur de communautés de sourds, et sont nées comme n’importe quelle langue de la volonté de communiquer à l’intérieur d’un groupe donné.

Contrairement à une erreur très répandue, les langues des signes ne sont pas dérivées des langues verbales. Du point de vue linguistique, les langues des signes sont aussi riches et complexes que les autres. Elles présentent la particularité que les gestes peuvent convoyer plusieurs sens en fonction de nombreux paramètres transmis simultanément, alors que les langues verbales ne peuvent le faire que consécutivement.

langue des signes inventée en France par l’abbé Charles-Michel de l’Épée

langue des signes inventée en France par l’abbé Charles-Michel de l’Épée

La situation des sourds – leur intégration à la société toute entière – ne commence à changer qu’au XVIIIe siècle, avec l’apparition de centres éducatifs destinés aux enfants malentendants en différents pays d’Europe, notamment en France (sous la direction de l’abbé Charles-Michel de l’Épée) et en Allemagne (sous la direction de Samuel Heinicke). Au milieu du XVIIIe siècle, Laurent Clerc, un professeur sourd, fonda la première école pour sourds des États-Unis. Disciple de l’abbé de l’Épée, dont il pratiquait le système, Clerc contribua à disséminer cette langue des signes à travers les États-Unis, ce qui explique la similarité entre l’ASL (American Sign Language) et la langue des signes française (LSF).
En Russie, la première école pour sourds est ouverte à Pavlovsk en 1806. Comme aux États-Unis, c’est la méthode française qui est adoptée, ce qui a pour effet que les langues des signes russe et américaine sont apparentées, quand bien même leurs langues orales ne le sont pas vraiment…
L’existence de différentes écoles et la distance géographique expliquent qu’il n’existe pas de langue des signes universelle. Bien souvent, la distribution des différentes langues ne coïncide pas avec les frontières des langues vocales. Par exemple, un Anglais parlant sa langue des signes ne sera pas compris par un Américain, car la langue des signes britannique, la BSL (British Sign Language), dérive de l’école allemande. Les belges (wallons et flamands) ne signent pas non plus comme les français, mais à la manière des lyonnais… qui ne signent donc pas en LSF !

Ces langues ont été classées par familles selon la langue des signes qui est leur “ancêtre” principal. Lorsque les communautés sourdes sont par trop isolées géographiquement ou socialement, elles finissent en effet par développer un langage qui leur est spécifique, ce qui a pour conséquence que même des habitants de territoires voisins ne comprennent pas toujours leurs dialectes signés respectifs.
Une classification a été établie par Anderson et Peterson en 1979, qui a été reprise par Henri Wittmann en 1991. Cette dernière propose la liste de familles suivante :

  • famille de la langue des signes française ;
  • famille de la langue des signes allemande ;
  • famille de la langue des signes britannique ;
  • famille de la langue des signes japonaise ;
  • famille de la langue des signes lyonnaise, qui ne comprend que la langue des signes lyonnaise et les langues des signes de Belgique francophone et flamande ;
  • les langues des signes isolées (beaucoup de langues africaines, sud-asiatiques et sud-américaines le sont).
  • On peut ajouter à cette liste la famille de la langue des signes arabe dont les langues n’ont pas été traitées par Wittmann.

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Dès le milieu du XXe siècle, la nécessité se fait sentir de mettre au point un langage gestuel international susceptible d’unifier les approches de différentes écoles et de différents pays. Il a fallu un quart de siècle pour élaborer un “espéranto signé”, souvent appelé Gestuno. Un premier dictionnaire officiel de la langue des signes internationale (LSI) simplifiée fut publié dans les années 1970. Elle est distincte lexicalement de toutes les langues des signes spécifiques, car elle intègre des éléments provenant d’une variété de différentes langues des signes (essentiellement européennes). Elle est utilisée principalement dans les conférences internationales des sourds.
Pourtant, en pratique, c’est plutôt aujourd’hui l’American Sign Language qui sert de langue commune.

La langue des signes française, elle, a enfin été reconnue comme une langue à part entière par la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées.

три сестры
[Les Trois Sœurs]
d'Anton Tchekhov
mise en scène Timofeï Kouliabine
En langue des signe russe surtitrée

Berthier 17e / 5 octobre – 15 octobre 2017