Kafka allait au cinéma

Kafka semble avoir passé beaucoup de temps dans les salles obscures, particulièrement lors de ses « voyages de célibataires » avec Max Brod (Munich, Milan, Paris) entre 1911 et 1913, ces mêmes années qui ont donné naissance au Procès. Lorsqu’on lit le Journal et la Correspondance de Kafka, on découvre les notes qu’il avait prises sur le cinéma et sur les séances auxquelles il avait assisté.
Kafka s’est donc intéressé au cinéma, qui le lui a bien rendu.

On l’a adapté souvent, Kafka. Haneke a tourné Le Château (téléfilm, 1997), Orson Welles a réalisé Le Procès (1962), Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, Amerika-Rapports de classe (1984), adaptation du premier chapitre (Der Heizer) du roman inachevé de Franz Kafka, L’Amérique.
D’autres réalisateurs ont conçu des types d’écriture que l’on juge « kafkaïen » : cauchemar de la raison chez Béla Tarr, absurdité bureaucratique dans le Brazil de Terry Gilliam (1985) ou Le Locataire de Roman Polanski (1976), métamorphose hallucinante de La Mouche de David Cronenberg (1986), …
En 1992, David Jones réalisera lui aussi une adaptation du Procès, à partir du scénario de Harold Pinter adapté très fidèlement du livre, avec Anthony Hopkins dans le rôle du prêtre.
L’auteur lui même a fait l’objet d’un film biographique, « Kafka », réalisé par Steven Soderbergh et sorti sur les écrans en 1992, avec Jeremy Irons dans le rôle de l’écrivain. Dans ce film, Kafka enquête sur la disparition de l’un de ses collègues, et de cette manière devient un acteur même de ses propres romans Le Procès et Le Château.

Parmi ces adaptations, Le Procès (The Trial) d’Orson Welles est incontestablement une œuvre d’auteur. Welles, non seulement resserre mais modifie la construction du roman, rompant en particulier avec le souci documentaire de Kafka.
Et bien sûr il y a l’écriture cinématographique, la construction des plans : un lieu choisi pour son gigantisme est amplifié par l’usage du plan large, de certains angles et de certaines focales. L’environnement est aussi plus invraisemblable que celui du roman : il est, hors des bureaux et des tribunaux, inhabité ; les rares extérieurs, vues de rues ou de places, nous donnent à voir un monde désert. Et puis il y a cet immense bureau où sont au contraire concentrés des centaines d’employés, ces corridors et couloirs sans fin où attendent des rangées d’individus sinistres, l’appartement démesuré de l’avocat…, autant de lieux qui manifestent la déshumanisation. L’histoire de Joseph K peut alors être vue comme une métaphore du totalitarisme.
Anthony Perkins incarne par ailleurs un Joseph K moins effacé et soumis que celui de Kafka, plus revendicatif, voire agressif. Jusqu’à son éclat de rire presque démoniaque à la fin, juste avant l’explosion nucléaire dans laquelle il disparaît. Fin invraisemblable et absurde inventée par Welles, qui disait ne pas aimer la fin du roman. Mais il s’agit évidement d’une absurdité qui n’est pas étrangère à Kafka…

Au contraire de Welles, Michael Haneke, lorsqu’il adapte Le Château (Das Schloß) en 1997 pour les télévisions allemande et autrichienne, tente d’être le plus fidèle possible au livre. S’il coupe quelques scènes, il est très respectueux du déroulement narratif de l’histoire (distillant même ici ou là en voix off quelques morceaux choisis de l’écrivain, et suspendant son film sur la lecture de la dernière phrase incomplète du livre) et s’attache à nous rendre l’œuvre « la plus réaliste » possible. Haneke se focalise sur les relations qui se nouent entre les protagonistes, leur donne corps, et c’est finalement l’interprétation sensible qui donne à voir le désarroi de K, l’étranger refoulé à la porte du château. Château qu’Haneke ne nous montre jamais, redonnant ainsi toute sa place à l’imagination qui caractérise la lecture face au cinéma.
Regarder la bande-annonce du Château sur rakuten.tv

 

Proces
[Le Procès]
d'après Franz Kafka
mise en scène Krystian Lupa

en polonais, surtitré en français
20 - 30 septembre / Odeon 6e