Les Mayorunas, peuple “hors du temps”

Sous le terme générique de Mayoruna se regroupent plusieurs tribus originaires du Rio Yavari, fleuve frontière entre le Pérou et le Brésil, notamment les Matsés et les Marubos. Long de 1200 km, le fleuve Yavari était encore inexploré au XIXe siècle, de par sa situation aux confins des zones d’influence portugaise et espagnole, de telle sorte que les indiens occupaient un large espace de près de 150.000 km².
À partir de 1860, suite à l’expansion économique puis au boum du caoutchouc, les colons s’aventurèrent sur le Yavari, tuant et repoussant les Indiens dans les forêts des inter-fleuves. La situation s’aggrava durant les années 1960 lorsque l’état péruvien lança le projet d’une route traversant la région. Les Matsés attaquant sans relâche les ouvriers, l’armée péruvienne décida alors de les bombarder au napalm !
Ce sont les évangélistes fondamentalistes nord-américains qui établiront les premiers contacts en recherchant à la périphérie des territoires « non-pacifiés » des locuteurs afin d’apprendre leur langue. Financés par l’industrie pétrolière, ils vont organiser des expéditions en hydravion et gagner la confiance des Indiens en s’adressant à eux dans leur langue à l’aide de haut-parleurs, puis établir une mission d’évangélisation en 1969. Mais la plupart des Mayorunas refusèrent le contact et continuèrent leur vie traditionnelle, fuyant dès l’approche de l’homme blanc.
En 2007, la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones a voté une loi internationale qui garantit le droit à la propriété foncière. Le Pérou et la Colombie ont ratifié la loi, mais le Brésil ne l’a pas fait, et considère les terres de Matsés comme des réserves d’État qui peuvent être données ou retirées.
Depuis 2012, la compagnie pétrolière canadienne Pacific Rubiales a commencé l’exploration pétrolière sur les terres habitées par les Matsés et les tribus isolées voisines…

Conscients de la disparition de leur milieu naturel, les Matsés ont récemment voulu réagir, et ont édité la première encyclopédie de médecine traditionnelle amérindienne jamais écrite, et ce avec l’aide de l’association Acaté, qui œuvre pour la préservation des peuples d’Amazonie. L’encyclopédie est écrite du point de vue des chamans et par eux-mêmes. Ils décrivent comment les animaux sont connectés à l’histoire naturelle des plantes et des maladies. Par exemple le poison de grenouille, souvent utilisé avant la chasse, permet d’améliorer la précision, la vision et l’énergie.
Le Mayoruna est “celui-qui-parle-au-jaguar”, et des moustaches de félin sous souvent tatoués sur le visage des chasseurs.

C’est en 1969, au moment où s’installait la mission évangéliste américaine, que le photographe américain Loren McIntyre décide de rencontrer ces populations. Son récit, rédigé par l’écrivain roumain Petru Popescu sous le titre Amazon Beaming (non traduit en français), témoigne de ces pratiques médicinales, mais aussi de capacités télépathiques des shamans, et d’une vision du temps radicalement différente de la nôtre : lorsque le besoin s’en fait sentir, lorsque la situation devient difficile, le mieux est de revenir au commencement, de “recommencer” le temps !
Dans le spectacle qu’il a consacré aux Mayorunas, The Encounter, Simon McBurney reprend à sa manière cette croyance, en s’adressant à sa fille âgée de 5 ans : “You’re at the beginning, aren’t you, sweetheart?”*.

Pour en savoir plus sur les Matsés, écoutez cette conférence par Jean-Patrick Costa, anthropologue de la santé, spécialiste de la Haute Amazonie :

* « Tu es au début, n’est-ce pas, ma chérie ? »

The Encounter
[La Rencontre]
un spectacle de Complicité / Simon McBurney
d’après Amazon Beaming de Petru Popescu

29 mars – 08 avril 2018 / Odéon 6e