Mais dans quel radeau s’embarque Thomas Jolly ?!

Comment avez-vous découvert ce texte de Georg Kaiser qui est peu connu et très peu joué ?

Thomas Jolly : J’ai découvert Le Radeau de la Méduse quand j’étais étudiant à l’École du Théâtre national de Bretagne. C’était en 2003 et cela fait treize ans que je rêve de le monter. Une des difficultés pour « passer à l’acte » était liée au fait que les rôles doivent être tenus par de jeunes gens.

Thomas Jolly lors d'un atelier avec le groupe 42 du TNS.

Thomas Jolly lors d’un atelier avec le groupe 42 du TNS. Photo © Jean-Louis Fernandez

Aujourd’hui, cet obstacle est levé car dès que Stanislas Nordey m’a proposé de travailler avec les élèves de troisième année de l’École du Théâtre national de Strasbourg pour mettre en scène leur premier spectacle professionnel, j’ai immédiatement pensé que le moment était venu de mettre en œuvre ce projet. Il y a douze rôles – six de filles et six de garçons – ce qui correspond exactement au nombre d’élèves de chaque sexe dans la promotion. Il y a enfin un treizième personnage… mais n’en disons pas davantage.

Écrit entre 1940 et 1943, d’après un fait réel (le torpillage par un sous-marin allemand d’un paquebot anglais qui transportait des enfants vers le Canada), ce texte résonne-t-il un peu différemment aujourd’hui selon vous ?

Très certainement. Il s’agit d’abord d’êtres humains qui fuient la guerre… Ici, d’enfants qui fuient une guerre d’adultes. Ils se retrouvent sur un canot de sauvetage et vont commettre un acte irréparable au nom de l’interprétation d’un texte religieux, chrétien en l’occurrence. Si Georg Kaiser indique treize personnages, c’est pour introduire le chiffre fatidique de la Cène où Jésus est entouré des douze apôtres. Ils sont donc treize, un de trop… Car à treize, pensent certains, le salut ne viendra jamais…
Le thème de la religion et de l’endoctrinement pourrait être relativement ambigu mais l’on sent bien la position de Georg Kaiser au sein de ce débat tragique. En fonction de ses croyances, l’homme peut justifier le pire et se sentir dans son droit. C’est assez monstrueux car le règlement pousse au drame. Au nom de mes croyances, je peux justifier tous mes actes, même ceux que d’autres trouveraient barbares, bien qu’ils soient de même confession.

photo du spectacle Le Radeau de la Méduse

photo du spectacle Le Radeau de la Méduse © Jean-Louis Fernandez

Ce qui est troublant, c’est qu’il ne s’agit pas d’un débat entre spécialistes de textes religieux mais entre des enfants. Ils ne font que répéter ce qui leur a été inculqué. Seul Allan reste fidèle à sa conscience. De plus, il y a l’idée d’enfants victimes, victimes d’adultes nazis. Ce sont des enfants qui fuient l’Angleterre et les bombardements. Au début, ils se  plaignent et se vivent en victimes, ce qu’ils sont bien sûr puisqu’ils sont orphelins. Mais très vite, un peu comme l’écrira plus tard William Golding dans Sa Majesté des mouches, ils retrouvent la bestialité, la violence qui habite chaque être humain, plus évidente chez les adultes mais très présente, à l’état latent, chez les enfants. C’est ce que dit Georg Kaiser avec une force étonnante. La barbarie peut surgir n’importe où et à n’importe quel moment. Mais si l’auteur pose la question de cette barbarie latente, il ne donne pas de réponse très claire, ce qui permet heureusement toutes les interprétations possibles. Il y a une grande finesse dans cette ambiguïté permanente. Par la présence de la guerre et de la religion, nous tenons deux axes qui interrogent assez brutalement et très directement le monde d’aujourd’hui.

Propos recueillis par Jean-François Perrier pour la 70e édition du festival d’Avignon, juillet 2016.

Le Radeau de la Méduse
de Georg Kaiser
mise en scène Thomas Jolly

15 - 30 juin 2017 / Berthier 17e