La Vita Ferma, la dernière œuvre de Lucia Calamaro, retrace deux obsessions de l’écrivaine et metteur en scène romaine : la présence continue des morts à côté des vivants, à l’intérieur des vivants, dans un espace qui se dilate dans le temps envahi par les souvenirs en continu menacés par l’abîme sombre de l’oubli, et le retour de la mère, du disparu, de la vie, de l’origine, du magique, du cancer qui est une excroissance de la vie, un excès de vie vers la mort. […] Les morts de Lucia Calamaro ne sont pas des héros, des personnages exemplaires : ils sont nos semblables, et donc, de par leur attachement à la banalité de la vie quotidienne, ils ont encore plus besoin de notre compassion. À l’heure du Big Data, de la mémoire totale et compulsive, ils se rendent compte et nous rendent conscients du fait que la limite de la vie se situe au point d’effacement dans le noir du souvenir et donc ils réclament, aussi longtemps que possible, une présence continue, vive, charnelle, théâtrale, et lentement, en dansant, ils se dirigent vers l’obscurité des ombres, où ils continuent tels les silhouettes de la caverne de Platon, à s’agiter. À nous agiter.
Massimo Marino, doppiozero.com, 25 octobre 2016
Lucia Calamaro, vous abordez avec La Vita Ferma un thème rarement approché au théâtre, à savoir l’inaliénable sentiment de culpabilité dans le deuil, la peur d’oublier, la crainte de déformer le souvenir de l’être cher. Qu’est-ce qui vous a conduit à affronter cette question au plateau ? Pouvez-vous nous parler de la gestation de ce projet ?
Lucia Calamaro : Mes spectacles répondent en général à une question qu’un “accident biographique” m’amène à me poser. En l’occurrence, ma fille de cinq ans m’a un jour demandé où était le corps de sa grand-mère. J’ai réalisé à cet instant précis que je n’avais jamais emmené mes enfants au cimetière. Une réflexion plus vaste s’en est suivie.
Vous le faites avec humour, couleurs, panache et vitalité. C’est audacieux, tant de vie pour parler de la mort…
Lucia Calamaro : Un travail artistique ne peut être qu’un distillat de ce qu’on est. Si le résultat n’est pas personnel, inutile de se donner tant de peine. La Vita Ferma me ressemble, dans sa force, comme dans ses limites. Je n’aurais pas pu aborder ce sujet différemment. […] Vous savez, petite fille, je voulais être astronaute, voyager dans l’espace. Je dévorais trois, quatre nouvelles de science-fiction par jour, de la collection URANIA, très célèbre en Italie. La science-fiction a véritablement accompagné mon enfance. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que mon espace de recherche serait l’espace du dedans.
Je peux dire sans douter que toute mon œuvre est une chute plus ou moins réussie vers des mondes invisibles, que je cherche obsessionnellement à formaliser à travers un flux on ne peut plus exhaustif de mots. C’est une mission vouée à l’échec, mais je ne peux qu’insister. C’est comme ça. Mon défi, ma nécessité, c’est d’essayer de traduire en mots le monde du dedans.
Entretien avec Lucia Calamaro. Propos recueillis par Mélanie Drouère pour le Festival d’Automne à Paris. Avril 2017
Si je pouvais savoir ce que je fais quand je me mets à écrire, j’aimerais que ça se passe ainsi : que mon esprit, ou peut-être mon âme, entre en contact directement avec celui de la personne qui regarde, lit, reçoit. J’aimerais qu’il n’y ait pas de médiateurs physiques entre nous, toi et moi, n’importe qui que tu sois. Voilà, ce serait une satisfaction que mon geste artistique ne soit pas seulement bien fait ou en “odeur de sainteté”, mais plutôt un mécanisme hypnotique qui met ce morceau d’âme qui est le mien auprès de ce morceau d’âme qui est le tien. Et que cela soit un moment d’enchantement, un moment où le temps pour chacun de nous, soit un temps de très haute qualité : un temps où l’essentiel est présent.
Lucia Calamaro, introduction à L’Origine du monde. Portrait d’un intérieur, octobre 2015
Catégories : La poursuite : faire la lumière sur les spectacles