Le vietnamien, histoire d’une séparation

La question de la langue, des langues, est fondamentale dans le spectacle Saigon, qui retrace les histoires de ceux qui, partis du Viêt-Nam, s’aperçoivent au retour de l’exil qu’ils parlent un vietnamien qui n’existe plus, ou de ceux dont la maîtrise plus au moins assurée du français empêche de dire tout le récit des blessures.

Entre la langue que parlent les Viêt Kiêu (les vietnamiens partis en exil essentiellement pendant la guerre avec les USA et après) et la langue qu’on parle aujourd’hui au Viêt-Nam, un fossé s’est creusé.

Le vietnamien est une langue issue du chinois, dans laquelle l’écrit est venu très tard, et qui s’est fortement dialectisée au fil des siècles. Des disparités d’accent énormes existent d’ailleurs entre le Nord et le Sud, en passant par le Centre. Disparités qui sont bien plus fortes qu’en France entre un accent chti ou un accent marseillais. Par contre le vocabulaire est plus ou moins le même du Nord au Sud.

L’écrit ne s’impose vraiment au Viêt-Nam qu’avec l’écriture latine de la langue, romanisation imposée par le colon français à partir de la fin du XIXe siècle.
La langue commence alors à prendre une autonomie qu’elle n’avait pas, et, s’affirmant, elle évolue très rapidement, en particulier avec l’introduction de tournures de phrases et d’un lexique typiquement communiste, à partir des années 50.

La langue des exilés, est, elle, restée relativement figée, vivant en autarcie dans une communauté réduite. Elle s’est enrichie de nombreux mots français qui n’avaient pas d’équivalent en vietnamien, tandis qu’au Viêt-Nam des mots s’inventaient pour dire les mêmes concepts.
Cette langue relativement figée permet aujourd’hui aux Viêt Kiêu de lire aisément la littérature des années 30, alors que pour un vietnamien, cela demande autant d’effort que de lire du Racine pour un français du XXIe siècle !
Le dialogue, par delà les 10 000 km qui séparent la France du Viêt-Nam, est devenu difficile.

A l'aéroport international de Hô Chi Minh-Ville, des milliers de personnes attendent leurs proches venus de l'étranger pour la fête du Têt.

A l’aéroport international de Hô Chi Minh-Ville, des milliers de personnes attendent leurs proches venus de l’étranger pour la fête du Têt. (dantri.com.vn)

(remerciements pour ses explications à Philippe Papin, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études et spécialiste de l’histoire du Viêt-Nam)

Saigon
un spectacle de Caroline Guiela Nguyen / artiste associée
les Hommes Approximatifs

12 janvier – 10 février 2018 / Berthier 17e