Vu du guichet

Il est 18h et je m’installe derrière mon guichet le cœur palpitant à l’idée de te revoir.
Je t’attends, je l’admets je suis un peu en avance. Tu seras différent d’hier soir mais avec le même enthousiasme nous nous apprêtons à écrire une nouvelle page de notre histoire.
Que me réserves-tu comme surprise ce soir ? Que vas-tu me demander ? Combien de places auras-tu oublié ? À quelle heure vas-tu arriver ? Orchestre ou corbeille c’est à toi de voir ce que tu préfères ? Au premier rang entendre le souffle d’Isabelle Huppert ou au balcon surplomber l’univers.
Tu as moins de 28 ans et soudain senior, tu montes au café et descends au vestiaire, tu es en retard, tu es en avance, tu t’es apprêté pour te fondre dans le décor. Tu sors du travail, tu sors de l’école, tu découvres le lieu et tes yeux s’émerveillent, tu le connais par cœur, déjà là la veille.
Tu veux changer de place, tu veux acheter une place, tu es abonné et tu n’as pas ta carte, parfois même tu oublies tes deux contremarques, ton ami est en retard, alors tu paniques, et je te rassure, ensemble on trouve une solution, maintenant que tu es là il n’y a pas de raison.
Le spectacle est complet, en liste d’attente je te fais patienter, cinq, dix, vingt ou trente minutes. Je ne te promets rien, je t’offre ma patience. 20h, les choses s’accélèrent, oui tu peux entrer, un laissez-passer en corbeille impair.
On se parle des entractes et de la durée du spectacle, un peu long, fini tard, on se sourit de loin, on se dit bonsoir, tu attends trépignant 19h45, que les portes de la salle s’ouvrent enfin, je te vois même courir au loin dans la rue de l’Odéon priant pour que le spectacle n’ait pas commencé sans toi.
Tu as d’autres questions, je t’écoute, j’y réponds. Il arrive que je te surprenne à feuilleter le texte du spectacle qu’en prévision tu as acheté à la librairie du théâtre, mais ce que tu préfères je le sais c’est le programme de saison, ton péché mignon, tu t’y perds en rêvant au spectacle suivant.

Il est 20h, le hall devient sourd le temps d’une sonnerie. Nous avons passé quelques instants éphémères ensemble, nous avons partagé ce qui appartient au rituel théâtral et maintenant tu disparais derrière les portes grises pour quelques heures cathartiques.

Nous nous recroiserons j’en suis sur, du moins je l’espère.
Odéon, Berthier ou ailleurs,
À bientôt cher spectateur.

Texte de Ronan Ynard
@RonanYd